par Loïc   


Sans que je m'explique encore bien pourquoi (mais une explication est-elle nécessaire ?), un jour, m'est venue l'envie d'aller sur l'eau. Quand on a 14 ans, que l'on ne vit pas à proximité de la mer ou d'un grand plan d'eau et que l'on a des parents qui ne pratiquent pas d'activités nautiques, la réalisation pratique d'un tel rêve n'est pas des plus évidentes. A cette époque, ma seule expérience dans le nautisme était celle d'un stage de kayak de deux semaines dans un club de la région effectué durant les vacances "quand j'étais petit".

 

Seulement, le problème des clubs est qu'il y a une organisation à respecter. On n'est pas des plus libres concernant beaucoup de choses, notamment le lieu d'évolution. De plus, la vue de nombreux reportages, documentaires et films, la lecture de livres sur des sujets ayant trait à l'aventure, au voyage et à l'exploration avait fait naître en moi un désir de liberté et d'aventure.
Un jour d'été, en allant à la pêche avec mon frère et un copain, après avoir évolué dans la dense végétation du bord de la rivière qui coule à quelques kilomètres de chez nous, les poissons ne se faisant pas trop remarquer, nous piquâmes une tête pour nous rafraîchir. Se laisser flotter dans le courant est agréable, mais pour regarder le paysage, discuter (d'accord, quelle idée de vouloir faire tout cela en même temps ! ...), il faut garder la tête hors de l'eau et les muscles du cou se fatiguent vite ...
La découverte de "cubi" vide (de rouge pour ceux qui veulent tout savoir) sur la berge , rincés et apportés là par la crue de l'hiver, apporta la solution à nos problèmes de confort. 3 cubi de 5 litres, 4 "bouts de bois" et quelques décimètres de ficelle astucieusement assemblés constituent une parfaite réplique (économique !) d'un hydrospeed, le flotteur utilisé pour pratiquer la nage en eau vive.
Ainsi équipés nous passâmes de bon moments dans l'eau mais bien vite le désir de découvrir en restant au sec mais néanmoins sur l'eau se fit sentir.

 

Se balader sur l'eau ne vous a-t-il jamais tenté ? Peut-être que si ...  Hélas se pose vite le problème de l'embarcation. Quand on n'a jamais pratiqué une telle activité, il peut (selon ses ressources financières ! ... ) apparaître qu'un canoë ça coûte cher, un pneumatique de taille et de qualité raisonnable aussi ...  et ne parlons pas de plus grand ...
Il existe bien sûr la solution de la location, des clubs, ...  mais cela ne répondait pas vraiment à notre désir de liberté; et puis nous aimons bien bricoler, alors ...

Alors, la solution que nous avons employée s'appelle RADEAU. Derrière son aspect quelque peu simpliste se cache un formidable type d'engin. Des traversées d'océans (la plus célèbre étant peut être celle du Kon Tiki), des descentes de fleuves furent effectuées sur des radeaux (cf, par ici, par exemple, les "pionniers" en Amérique du Nord qui réalisaient des assemblages de troncs). De nombreux peuples les utilisent encore comme moyen de transport.

Il faut, pour faire un radeau, une source de flottabilité. Si on a déjà entendu parler de radeau, on pense en premier lieu à des bidons métalliques de grande capacité. A l'époque, je ne savais pas où en trouver facilement, propres, ...  et, de toute façon, cette méthode ne m'attirait guère, car c'est assez classique, si j'ose dire, et je voulais quelque chose d'original.

Ayant déjà quelques chambres à air, je me suis tourné vers cette solution. C'est assez pratique à transporter car ça se dégonfle (eh oui !!!) , c'est facilement modulable, ...  Il en fallait un certain nombre et, pour cela, je fis à vélo avec un copain (merci Cyril !) les garages du coin. Hélas, la technologie Tubeless (eh oui, il n'y a plus de chambre dans les roues modernes) était passée avant moi et j'eus du mal à en trouver un nombre suffisamment conséquent.
Toujours est-il qu'avec un peu plus de 20 chambres nous entamâmes la construction de notre premier radeau. Il fut construit directement au bord de la rivière qui servirait plus tard à nos essais. Aucun plan ne fut élaboré, ni même griffonné, tout fut fait au feeling . Toujours pour des questions financières, le bois nécessaire à la fabrication de l'armature fut coupé au bord de l'eau sous forme de quelques perches de saule, ce dernier abondant dans les coins du "chantier". Sous le nom d'armature se cache un cadre rectangulaire constitué de 4 morceaux de bois cloués. Des "traverses", auxquelles sont ficelées les chambres, lui furent adjointes.
Nous pûmes alors procéder à la mise à l'eau. Il supportait très bien le poids d'une personne, mais au-delà le moindre remous avait pour effet d'inonder le "pont". Cela n'était pas bien grave puisque de toute façon nous étions trempés pour d'autres raisons et que c'était l'été ...  Mais, pour le principe, il fallait faire quelque chose. Nous avions récupéré des bidons de lave-vitre auto et quelques cubi (exit les hydrospeed !), ils furent ajoutés. Ce n'était pas parfait, mais c'était mieux.
PS : Nous n'avons, hélas, pas fait de photos.  

Dés la fin de l'été, je savais que je recommencerais l'année suivante, mais avec une autre source de flottabilité. Un jour je décidai que nous utiliserions des bouteilles d'eau minérale, et plus précisément de Badoit. Pourquoi de Badoit ? Tout simplement parce qu'il y a dans la famille des consommateurs de ce breuvage et parce que je trouvais cela original.
Comme pour le premier, une berge fut le chantier et le centre d'approvisionnement en bois. Les bouteilles sont simplement coincées dans l'armature. Pour ceux qui seraient tentés de nous imiter je conseille, du moins pour les bouteilles extérieures, de les réunir 3 par 3 par du "gros scotch marron" pour faciliter leur mise en place. Pour le reste, les photos sont suffisamment explicites.
Deux ans s'écoulèrent avant que ne me reprenne l'envie d'en construire un nouveau. En effet, c'était génial, mais nous ne pouvions parcourir que de petites distances sur la rivière. L'idéal était de remonter une petite portion du cours, en marchant le plus souvent, car pagayer à contre courant avec un engin aussi peu hydrodynamique est très pénible (on n'avance pas ou peu, quand on ne recule pas ! ). De plus, je n'avais encore pas eu l'idée d'organiser une descente avec retour en voiture ...

Nous voici donc en fin d'année de première. De passage après les cours chez un copain, je lui demande si ça l'intéresse de descendre la rivière locale en radeau. Sa réponse se fit de suite affirmative. La question suivante fut celle, une fois de plus, de la flottabilité. Nous étions d'accord pour utiliser des bidons d'huile, faciles à transporter et à se procurer dans les garages. La suite immédiate s'est ("en gros") déroulée de la manière suivante:

- "Tu ne connais pas quelqu'un qui travaille dans un garage, des fois ?"
- "Ben si ! Il y'a xxxxxxx que mon père connaît et qui bosse chez biiiiiiiip." Là où ça devient intéressant, c'est que chez biiiiiiiip c'est à environ 500 mètres de chez lui.
- "Quelle heure est-il ?"
- "17 heures."
- "On y va tout de suite ?"
- "Ben oui."
Arrivés chez biiiiiiiip, on trouve le garagiste :
- "On vient voir si vous n'auriez pas des bidons d'huile; c'est pour construire un radeau ..."
- "???? ...  Vous voulez des gros bidons ?" (c'est fou ce que les radeaux sont assimilés aux gros bidons !!)
- "Non, non, des bidons du style bidon d'huile en deux litres ..."
- "Ben, on a ça (en nous montrant un bidon de deux litres)"
- "C'est tout à fait ce qu'il nous faut."
- "Vous en voulez beaucoup ?"
- "Autant que vous en avez !!"
Et de nous monter un empilement de cartons contre le mur :
- "On les garde pour le recyclage, le gars doit venir bientôt."
- "Mais on peut les prendre ?"
- "Oui, mais si vous pouviez nous laisser les cartons ..."
- "OK, on les prend ce soir, on les emmène chez Yann (le copain, pas le frère),il n'habite pas loin."

Arrivé chez Yann, on descend du grenier une vieille charrette à vélo pour aller plus vite. Et nous voilà à faire des allées et venues avec, dans les deux sens, le même chargement apparent de cartons, ce qui attisa la curiosité des passants.
En fin de compte, ce furent exactement 256 bidons de transférés. 256 fois 2, ça fait 512 litres de flottabilité ...  C'est ce que j'appelle une bonne journée !!
Devant le nombre de bidons , il fut décidé de construire 2 radeaux. Un quatrième larron fut contacté et il se montra partant pour l'aventure.
Nous avions de la "belle marchandise" pour la flottabilité, il fallait donc une armature potable. La décision fut prise d'acheter de la guinde (le meilleur rapport "utilisabilité"/prix). Mon père, chargé de cet achat, revint à la maison avec des planches brutes de différentes largeurs vendues pas trop chères sous le nom de volige. Je ne connaissais pas mais c'était encore mieux que la guinde car plus large.
Nous construisîmes donc une première "embarcation", rectangulaire, classique quoi. Pour le deuxième, sur une idée de Mathieu (le quatrième larron), nous innovâmmes par une forme trapézoïdale qui, se révélant très (très !) instable lors du premier essai, s'est vue adjoindre 2 bidons sur l'arrière. Ce radeau a une apparence originale et finalement une bonne stabilité en roulis ...  mais en roulis seulement ...


Avant de partir en "expédition", il fallait faire quelques essais. Pour cela, nous descendîmes environ 4 km de rivière, sur une portion déjà bien connue. Nous avons alors décidé de descendre autant que nous le pourrions dans une journée et d'effectuer le retour en voiture. Ce n'est peut être pas très élégant sur le plan sportif mais c'est là seule solution qui paraisse raisonnable quand on a déjà essayé de remonter le courant ...

Nous n'avions pas mis un temps trop important pour descendre ces 4 km, ce qui nous laissait espérer une longue descente et nous avions repéré sur la carte les ponts qui constituent les meilleurs points d'arrivée, car intrinsèquement proches de la route.
La journée choisie se passa bien, mais le nombre d'obstacles fut tel que nous ne descendîmes que peu en comparaison de nos prévisions. Nous avons rencontré beaucoup d'arbres en travers du cours, ce qui nous retarda énormément. En effet, il fallait soit contourner l'obstacle par la berge, soit passer au-dessus. Mais cela n'est pas évident du fait de la densité de la végétation sur la berge, de la force du courant et de la profondeur, et aussi parce que nous avions construit solide mais un peu lourd.

Un autre problème rencontré fut celui de la stabilité sur l'axe de lacet du "triangulaire". En effet, par suite de la résolution du problème du roulis, l'arrière de l'engin s'est vu sensiblement élargi. A priori, rien de grave. Le radeau étant porté par le courant, on peut penser qu'il est un peu comme une montgolfière en vol, immobile par rapport au fluide ambiant, et donc que la forme importe peu.
Mais justement, par suite de l'existence d'irrégularités dans la masse d'air, une montgolfière peut tourner sur elle-même. Le courant d'une rivière n'étant pas constant (c'est évident, mais je veux parler ici de différences présentes sur des intervalles dont la taille a pour ordre de grandeur la longueur d'un radeau), on retrouve des phénomènes similaires avec un radeau et ils sont décuplés par certaines formes.
Par exemple, pour un radeau parallèle à la veine de courant (pour dire que l'on parle de variations de vitesse suivant un axe parallèle au cours), si le courant ,qui frappe un arrière plus large que l'avant, est supérieur à celui qui porte la majorité du radeau, celui-ci a tendance à entamer un tête à queue. Et ce mouvement n'est pas évident à maîtriser dés qu'il y a quelques degrés de déviation, du fait cette fois des différences de vitesse du courant qu'il peut y avoir suivant un axe perpendiculaire au cours. La position du centre de gravité ne doit pas non plus être innocente ...  
Ce n'est là qu'une tentative d'explication ...et vous pouvez aller chercher de l'aspirine ...

      

En bref, le "triangulaire" a fait une descente en passant son temps à tourner sur lui-même, alors que l'autre a été beaucoup (infiniment même !) plus stable. Je ne conseille donc pas le plagiat de cette innovation ...  Bien que nous ayons pu constater (et à y réfléchir ça peut s'expliquer) une relative stabilité une fois "l'arrière" tourné vers l'aval ... (certains se demanderont pourquoi nous n'avons pas gardé cette orientation ...  et bien, les sièges ayant été vissés ... ).

On ne dirait pas comme cela, mais le temps passe vite ...  Finalement, après avoir atteint un pont et que mes camarades m'aient désigné volontaire pour parcourir les deux km qui nous séparaient du téléphone le plus proche, nous prîmes un repos mérité. Après relevé sur la carte, nous avons appris que nous avions descendu 15 km de cours. Cela apparaît comme peu en comparaison de ce que nous envisagions, mais il n'y avait pas moyen d'aller plus vite sur cette portion. Nous avions alors envisagé de réitérer l'expérience sur deux jours, mais pour différentes raisons cela ne s'est pas fait.

Voilà, en tout cas, une expérience que nous conseillons à tous ceux que tente "l'aventure".




Le 25/02/01

Un peu au-dessus, je parle des inconvénients que nous avons constatés avec le radeau triangulaire. Certains d'entre vous ont peut être regardé Faut pas Rêver (n° du 23/01/01) et vu le reportage sur les Malgaches qui construisent des radeaux en bambous pour se rendre au marché. En tout cas moi je l'ai visionné et j'ai pu y voir des radeaux triangulaires dont la forme n'est pas sans rappeler celle du nôtre.
Vu les "p'tits problèmes" que nous avons eu, je n'ai pas manqué d'être surpris. Apparemment la navigation ne leur pose pas trop d'ennuis et c'est tout juste si on voit l'embarcation légèrement en biais par rapport au courant à un moment donné (enfin dans ce que montrent les images ...).
Alors ... Alors, les proportions (hors bidons arrières), entre "le leur" et "le nôtre" me paraissant relativement semblables, bien que "le leur" soit plus grand, je pense que c'est de la faute aux bidons. En effet, ceux-ci entraînent un doublement de la largeur, ce qui apparaît comme préjudiciable à une bonne stabilité sur l'axe de lacet.
Pour conclure, je modérerais mon conseil de ne pas imiter "le triangulaire", en disant que ses proportions (hors bidons !) sont satisfaisantes et, qu'au vu de l'instabilité constatée en roulis, il faut construire en multipliant les cotes (par 1.5 ou 2). Cela de manière à augmenter la largeur (et donc la stabilité en roulis) tout en gardant les proportions (et donc la stabilité en lacet !).




P.S. : Au risque de paraître "rabat-joie", nous devons vous rappeler que l'eau peut être un élément dangereux et que des moyens de protection, tel le gilet de sauvetage, s'imposent. Une non utilisation de ces moyens est à vos risques et périls.